Aragon Louis (1897-1982)
 J'entends j'entends
  Notes sur l'album :

Jadis la poésie était chanson aussi sûrement que la chanson était poésie. De doctes messieurs peu enclins aux mélodies ont tout fait pour séparer l'une de l'autre. Car on ne mélange pas le lettré et le populaire, l'érudit et le bâtard, le sacré et le profane : chacun dans son pré, les rimes seront bien gardées. Les poètes peuvent prétendre à l'Académie ; les chanteurs, eux, restent à la porte, au grand dam d'un Trenet qui se rêvait en habits verts.à la mort de Louis Aragon, en 1982, il s'est trouvé des plumitifs, bien en cours et de renom, pour, tout en célébrant le poète défunt, déplorer que celui-ci se soit permis "quelques oeuvres moins ambitieuses". Ils parlaient, vous vous en doutez, de "chansons", comme si ce fut une abomination.Non seulement le fou d'Elsa a écrit des chansons (son recueil Les Poètes n'est-il pas divisé en parties "parlées" et "chantées" ?) mais les adaptations qui furent faites de ses poèmes, une fois élagués et remaniés (ce dès 1953 avec Il n'y a pas d'amour heureux, par Georges Brassens), à l'évidence par Léo Ferré (un album entièrement consacré à Aragon en 1961) puis par Jean Ferrat (ainsi que par, entre autres, Colette Magny, Marc Ogeret, Jacques Marchais, Catherine Sauvage, Francesca Solleville, Hélène Martin et Yves Montand) ont porté Louis Aragon aux oreilles d'un large public, populaire au sens noble du terme, tout aussi avide de poésie. En la démocratisant, la vulgarisant, la diffusant parfois aux heures de grande écoute. Aux recueils de quelques centaines d'exemplaires, le disque fit l'effet d'un microprocesseur avec ses milliers et millions d'unités. Les vers d'Aragon méritaient l'estime du peuple : c'est par la chanson qu'ils l'ont gagnée, non par l'intégrale imprimée en de luxueux volumes.Ferré et Ferrat disparus, que reste-t-il de la chanson d'Aragon ? Ce CD, quatrième volume de la Collection NosEnchanteurs, tente à sa manière de le mesurer. Non à l'aune de prétendues stars, mais de cette vaste communauté de chanteurs, dispersés au gré de la francophonie, qui, si on daigne tendre l'oreille, irriguent notre quotidien de leur talent. En voici vingt, jeunes ou moins, autres porte-rimes, superbes interprètes. Vingt parmi beaucoup d'autres qui, à leur tour, prennent le relais et souvent posent leur propre musique sur les vers d'Aragon, dans une liberté de ton qui ne peut que faire écho à celle du poète. Quel que soit le support, physique ou numérique, ce n'est pas demain la veille qu'Aragon prendra congé de la chanson : les deux font corps constitué, leurs noces sont, je crois, inscrites dans l'éternité.

 Article(s) de presse dans :

Franco Fans nº 102 p.71 du 09/08/2023