Sous les effets conjugués du réchauffement sonique annoncé et d'une pandémie rythmique rampante, un volcan sonique est en éruption à Rennes. Ses instigateurs sont Joris Prigent aux claviers et Léo Le Roux à la batterie, deux musiciens dont la volonté est de construire à côté de leurs autres projets respectifs. Après plusieurs concerts de rodage dont un passage remarqué à l'Ubu en mars, ils viennent tout juste d'enregistrer leur premier album, 'Traversée Sauvage'Au premier coup d'oreille des six morceaux qui sont autant d'épisodes d'une symphonie moderne extrémiste, on est immédiatement accroché par ces déflagrations sonores où se mêlent éclats psychédéliques, fumeroles de rock garage, et vapeurs pop progressives, le tout sur une trame minimaliste où le 'less is more' se conjugue avec une approche très particulière de la transe. Dès le premier morceau de plus de dix minutes qui donne son nom au disque, la complémentarité entre les instruments est évidente : d'un côté le halètement sauvage de la batterie qui quadrille le périmètre, de l'autre les claviers qui ouvrent des grands espaces ; la machine Tago Mago fonctionne à plein régime, telle une mécanique flamboyante que rien ne peut arrêter.Elle s'inscrit aussi dans la mystique des duos, avec la prise de risques et le bricolage éclairé qui les caractérisent, de Suicide à Zombie Zombie en passant par les White Stripes, mais on y trouve aussi des influences multiples toutes bien digérées.La volonté de rapprocher le disque du 'live' reflète cette spontanéité qui est l'un des maîtres mots de Tago Mago et qui rajoute une force souterraine à sa musique ensorcelante. On la sent physiquement pendant les concerts autant que dans les pièces qui composent cette session pourtant forgée dans le confinement du studio. Léo Le Roux donne quelques clefs : "On a fait très peu de pauses, on a envisagé ça comme une grande dissertation, c'était important de rester dans le mood et d'aboutir à ce feeling global". Pari réussi.Vérification instantanée en reposant le diamant sur le sillon : une première partie où l'atmosphère s'installe, un court silence, le tempo qui s'accélère...Léo et Joris ont appuyé sur la pédale et passé la sixième, jusqu'à un final où ils poussent un cri de guerre puis entonnent une incantation hallucinée : 'Ta-go-Ma-go, Ta-go-Ma-go...'. Seule ombre au tableau, cela veut dire aussi que la 'Traversée sauvage' est terminée et nous n'avons qu'un seul désir : la recommencer.

Rock & Folk nº 668 p.79 du 21/03/2023